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16 mai 2009

révélation (7)

Il saisit son téléphone, rectangle noir qui vibre en silence, se lève, s’excuse et sort de la salle de réunion pour écouter son interlocuteur.

- Oui ? J’espère que c’est urgent, je suis en plénière sur le budget triennal…

Il déambule dans le couloir.

Puis s’arrête.

Interdit.

-       Comment ?

Il raccroche d’un geste nerveux.

Il s’apprête à décrocher à nouveau, à appuyer sur les touches. Se ravise et glisse l’appareil dans la poche de son veston de lin.

Il entre à nouveau dans la salle et replonge dans la discussion,  absent.

D’abord reprendre ses esprits. Cette journée a été épuisante. Il a roulé longtemps pour arriver jusqu’au château de Mario Armino, couturier en vogue installé dans la région, qui organisait un défilé de sa nouvelle collection dans l’enceinte du château. Il a eu une invitation.

S’y est rendu avec excitation.

Petit, il adorait regarder les défilés des mannequins à la télévision, alors c’était un peu de son rêve d’enfant qui prenait forme.

Et puis, il a espéré, un instant, un vague instant, y voir Juliette.

Mais il avait mal lu l’invitation, tout à son émoi.

Le défilé au château, c’était pour la veille.

Il était reparti, déçu.

Alors, au retour, il a emprunté le chemin de terre où ils se sont vus pour la dernière fois, il y a trois semaines.

Mais il faisait noir et il avait une réunion pour délibérer sur le budget triennal.

Il n’avait pas osé la contacter. Ni se servir des informations à son sujet.

A cause de Martine.

Martine.

Elle n’avait pas oublié.

Et elle avait, à plusieurs reprises, posé des questions sur cette inconnue croisée sur le chemin.

Et puis, elle lui avait parlé de leur rencontre. Ce n’était pas la première fois que Martine jouait sur la corde sensible des souvenirs. Mais cette fois-ci, il s’était rendu compte que c’était différent.

Que cherche-t-elle ?

Et qui est cette Juliette ?

Martine avait évoqué l’année du bac. Elle avait manifesté dans les rues de Marseille.

Qu’est-ce qu’elle avait ri ce jour-là…

Elle parlait de ça avec nostalgie mais Paul ne comprenait pas pourquoi elle évoquait tout cela.

Ca remontait à si loin.

Voyons, combien d’années ?

Vingt-deux.

Oui, c’est ça, vingt-deux ans.

Martine Juan. Avant qu’il ne la connaisse.

La même, presque.

Quelques kilos en plus.

Et des cheveux blancs.

Il s’en voulait de ses pensées. D’accord il n’aimait plus Martine et il se demandait même s’il en avait été un jour amoureux, mais cela ne lui donnait pas le droit d’être amer envers elle.

Tout ça à cause de ce pantalon de viscose noir, fluide, qui avait dansé un jour au milieu de son chemin.

Pourquoi Martine et lui s’étaient-ils mariés ?

Est-ce que Martine l’avait aimé ?

Ou alors, elle s’était leurrée. Et avait gâché sa vie.

Il passe sa main sur son visage, geste devenu machinal, secoue la tête pour effacer le visage de Juliette qui ne le quitte pas.

Secoue la tête pour oublier son rire qui ne le quitte pas.

Son rire à elle. Cristallin. Enfantin.

Essaie de se reconnecter à la conversation.

Il entend les chiffres énoncés, les montants et les demandes d’explications de certains élus. Il voit les mines se fâcher, s’emporter, lui demander son avis du regard. Il ne peut que fuir.

Son esprit est ailleurs.

Il élude les œillades appuyées de ses collègues.

Depuis trois semaines, cette rencontre l’obsède.

Sur le chemin, avant de venir, il a refait encore et encore les mêmes gestes, a avancé lentement, s’est garé et a attendu.

Espéré.

Attendu.

Vérifié l’heure. Vingt heures. Presque. Il lui restait quelques minutes pour se rendre à la réunion de la communauté de communes.

Il se doutait bien que personne ne viendrait.

 

Vingt jours qu’il s’interroge, veut comprendre, analyse, réfléchit. Trois semaines qu’il est débordé et ne peut agir comme il  le veut.

Vingt nuits que ses rêves sont troublés. Il se revoit vingt et un ans plus tôt. Lorsqu’il a rencontré Martine.

Et la réalité le rattrape. Vingt et un ans, c’est si long. Et si court à la fois. Il n’a guère vu les années passer.

Tellement de choses ont changé.

Il ne se sent plus en phase avec le Paul de l’époque. Aujourd’hui il est enfin sûr de lui, déterminé. Il sait ce qu’il ne veut plus être. Ne veut plus vivre. Il est devenu exigeant. Voilà, c’est ça, exigeant.

Il écoute les hommes et femmes qui l’entourent. Entend les décisions. Lève le doigt. Vote acquiesce. Les mots frappent dans sa tête.

Les voix l’étourdissent.

Il respire. Profondément.

Il voudrait oublier l’appel de tout à l’heure.

Mais il sait qu’il est trop tard.

La reverra-t-il un jour seulement ? Seulement eux deux ?

 

 l'âge d'homme

 

Commentaires

Toujours aussi bien mené! Et belle photo! C'est R.D. dans quel film?

Écrit par : Sabbio | 17 mai 2009

ah tiens.. tu l'appelles RD toi Sabbio ?
une intime du monsieur peut-être ?
pas mon type d'homme, le Romain... mais la photo extraite du film "l'âge d'homme, maintenant ou jamais" me plaît bien.

Écrit par : calouan | 17 mai 2009

Les commentaires sont fermés.