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08 juin 2010

Pascal Garnier

j'ai entendu parler de cet homme-là ce week-end. alors j'ai fait ma curieuse...

j'ai trouvé un article sur un de ces ouvrages aux éditions Zulma, et justement j'aime bien cette maison d'édition... je vous le livre :

Martial et Odette sont les premiers à s’installer aux Conviviales, une résidence pour seniors. Dans une maison neuve, identique à toutes les autres, ils bénéficient de l’accès à la piscine et au club house. Des grilles et des caméras de surveillance éloignent les rôdeurs, pendant que monsieur Flesh, le gardien, fait sa ronde. Le temps est pluvieux, mais nous sommes dans le sud de la France, il ne tardera pas à faire grand soleil. De nouveaux résidents vont emménager, un autre couple à peu près du même âge qu’eux, ainsi qu’une femme seule. Enfin, Nadine, la « secrétaire-animatrice », leur proposera des activités une fois par semaine.
Voilà les sept personnages que Pascal Garnier choisit de mélanger. Délicatement d’abord, comme on incorpore des blancs en neige. Puis, progressivement, car l’auteur transforme sa préparation en émulsion, façon mixeur…

Le style de Pascal Garnier est faussement fluide. C’est un rythme savoureux, en deux temps : quelques lignes, plutôt classiques, qui transcrivent en mode « normal » un monde « normal », suivies d’une phrase imprévue, drôle ou décalée, parfaite pour nous faire hausser les sourcils d’étonnement.

« Odette fut la première dans l’eau.
– Viens, elle est bonne !
Non. Il la trouvait glacée. Ses orteils se crispaient sur les barreaux de l’échelle.
– Allez !
Il lâcha les échelons. Ce fut comme de venir au monde, une grande claque dans la gueule. Mais après, on se sentait tellement bien !… Martial fit deux ou trois allers-retours, aussi vite qu’il pût pour se débarrasser de cette corvée. Ce n’était pas à cause de la température de l’eau, simplement nager l’ennuyait. On n’allait jamais nulle part en nageant et il fallait constamment agiter bras et jambes pour ne pas couler. Il n’y avait rien à voir que du bleu, dessus, dessous, c’était con
. »

À première vue, les personnages de Lune captive dans un œil mort semblent faciles à cerner. On pourrait les croiser au supermarché ou chez le dentiste. Ils véhiculent les petits travers d’une vie bien tranquille, faite de joies simples, d’occupations banales. Pourtant, progressivement, un glissement s’opère. Jusqu’à ce qu’un « couac » prenne soudain toute la place.
Odette, par exemple, se met à chasser une mouche agaçante. Puis cette mouche la poursuit. Oui, cette mouche la harcèle, sans cesse, chaque jour. C’est vraiment pénible, une mouche. Surtout sachant qu’elle n’existe pas, et que personne d’autre qu’elle ne l’a vue…

« La tapette s’abattit violemment sur le coin de la table. Martial la retourna et présenta ce qui restait de la mouche à son épouse.
– Te voilà débarrassée !
Odette se pencha au-dessus de la spatule en rajustant ses lunettes.
– C’est pas celle-là
. »

Dans cette résidence protégée du monde, les carapaces bien proprettes des habitants se fissurent. C’est qu’ils sont là en vase clos. Le naturel revient au galop, c’est sa nature, et chasse bientôt le policé des rapports usuels. Après plusieurs verres d’apéritif, tous commencent à mieux se connaître et, à mesure que les journées se succèdent, ils laissent échapper ce qui les obsède. Failles, faiblesses et idées fixes éclatent au grand jour. L’isolement agissant comme un accélérateur de particules, l’inquiétude devient contagieuse, comme la paranoïa. Puis vient le dérapage…

Pascal Garnier rend parfaitement compte de l’itinéraire en chute libre de ces existences. Il était même normal que ceux-là tombent. Ils arrivent dans un endroit neuf, hors du monde, amenant dans leurs bagages le vide qui les grignote : rêves perdus, enfants disparus, petits arrangements mesquins, souvenirs refoulés… Et ce vide risque fort de les anéantir, en les aspirant dans son imparable trou noir.

Lune captive dans un œil mort est une fantaisie sombre, drôle, grinçante, et diablement bien écrite en prime. Jubilatoire, pourrait-on dire, si ce terme à la mode n’était pas trop souvent employé. C’est pourtant vrai qu’on jubile devant les trouvailles de l’auteur. Un geste rapide qui dure juste « le temps de tracer une virgule ou de décapiter un roi »… Des hommes, sous un parasol, « pareils à des clowns tristes sous un chapiteau éteint »… Sans oublier la présence très perturbante de cet œil droit, mort, poursuivant un insolite et dérisoire « bras de fer avec la lune »…


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