01 février 2011
Baru
je l'ai entendu l'autre jour à la radio, car il présidait le 38e festival d'Angoulème... j'ai bien aimé ce type...
alors voilà, je vous le présente (enfin, c'est Stéphane Jarno qui vous le présente):
Baru
« J'ai horreur de rester enfermé dans mon atelier.Dès que je termine un album, je me consacre à ne rien faire ; je me balade, j'observe les gens, j'écoute ce qu'ils disent, comment ils parlent, j'étudie les décors, car les comportements sont largement conditionnés par l'environnement... Je suis un dessinateur de rue, c'est là que je me recharge. »Pionnier de la BD réaliste et sociale en France, Baru préside l'édition 2011 du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême. Un honneur que cet homme de 63 ans vit comme à son habitude, partagé. D'un côté il y a le sentiment d'être enfin reconnu et accepté par ses pairs. De l'autre, l'obligation de « faire le cake devant les journalistes », de se plier aux usages de la fonction, bref de « composer », un mot pour lequel il a peu d'estime. S'il a ouvert la voie aux Davodeau, Larcenet et autres auteurs qui explorent avec succès la veine sociale et le combat ordinaire, Baru n'appartient pourtant à aucune famille, coterie ou chapelle du neuvième art. Un « splendide isolement » qui doit autant au peu de goût de ce Lorrain installé dans la banlieue de Nancy pour les pince-fesses parisiens qu'à son éternel sentiment d'illégitimité. Fils d'un ouvrier métallurgiste italien, Hervé Baruléa, dit Baru, grandit à Villerupt, la plus « italienne » des cités ouvrières lorraines, à l'ombre des terrils et des hauts fourneaux. Sauf qu'à 14 ans, il ne quitte pas l'école pour l'usine, comme la plupart des ses camarades. Une singularité longtemps vécue comme une tache, une « trahison » de classe et qui explique bien des tiraillements ultérieurs. « Mon père était doué, mais n'a pas eu la possibilité de suivre des études. Alors il les a faites par procuration, à travers ses trois fils. Il ne voulait pas que nous quittions l'usine, mais que nous y travaillions comme ingénieurs. Ce qu'un de mes frères a d'ailleurs fait pendant un temps ; tous les matins, mon père montait les quelques marches qui menaient à l'étage des chefs et venait prendre un café avec lui, c'était sa grande fierté. » Mais Baru, lui, suit un autre chemin. Après des études de mathématiques et de physique, l'aîné de la fratrie prend de plein fouet Mai 68, ses slogans, sa contre-culture et l'immense appel d'air qui l'accompagne. « Je me suis rendu compte que le vrai luxe, pour un fils de prolo, c'était effectivement de ne pas perdre sa vie à la gagner. En même temps je ne pouvais pas m'asseoir sur les sacrifices et les espoirs de mes parents. Alors j'ai choisi assez cyniquement un boulot qui offrait à la fois un statut et beaucoup de temps libre, je suis devenu professeur de gym. » La BD, Baru y entre par effraction, au début des années 1980. Le déclic se produit avec Hara-Kiri et les dessins de Reiser. Le jeune homme, qui cherche un moyen de donner son avis sur le monde, découvre une forme d'expression percutante, efficace et nécessitant peu de moyens. « Les dessins n'avaient pas l'air bien compliqués, je me suis dit que je pouvais en faire autant. Alors on a créé un petit journal satyrique avec des copains, Le Téméraire. Mais quand j'ai voulu imiter Reiser, j'ai compris qu'il était génial et que je ne l'étais pas. » Trop tard, le prof d'EPS a contracté le virus. Et lorsqu'il découvre les planches de Muñoz et Sampayo, un duo d'auteurs argentins, et « leur façon incroyablement libre de représenter les corps, de triturer l'anatomie des personnages », il change de cap. Baru a 37 ans lorsque paraît Quéquette Blues, son premier album, en 1984. Couronné par le Grand Prix du festival d'Angoulême, cette histoire au long cours (1) où il raconte le quotidien d'une bande d'ados dans la Lorraine ouvrière de la fin des années 1960, entre bringues, bastons et libido sous le bras, donne le la de toutes ses productions à venir. « Je n'ai pas particulièrement aimé mon enfance et n'en ai pas gardé la nos talgie. Si beaucoup de mes albums s'en inspirent, c'est surtout à titre de témoignage. Avec la fermeture des usines, les cités ouvrières ont disparu et avec elles, tout un pan d'histoire. Je me suis donné comme but de mettre au premier plan, dans tous mes albums, les gens de peu, les classes laborieuses, les oubliés de l'Histoire. » Devoir de mémoire ? En quelque sorte, car si ces albums sont avant tout des fictions, le dessinateur a le souci constant d'y glisser les instantanés d'une époque, un parfum, des expressions, et sans doute pas mal de souvenirs. Mais Baru n'est pas Pagnol, et le portrait qu'il brosse de la vie dans le milieu ouvrier des années 1960 n'a rien d'un chromo soviétique à la gloire du prolétariat. Violences, racisme ordinaire, homophobie, vendettas sont au menu, et les protagonistes sont souvent de « pauvres zhéros ». Pourtant, dans ces cités où s'entassent Italiens, Polonais, Algériens, Ukrainiens et Kabyles, les enfants jouent ensemble et il n'est pas rare qu'entre voisins on se rende service, qu'on s'épaule, qu'on rigole. Toutes les histoires de Baru ont cette chaleur humaine pour toile de fond ; des ambiances joyeusement tristes, de remuants portraits de groupe, du drame et de la comédie qui font penser au cinéma italien des années 1960-70. Les films de Dino Risi et d'Ettore Scola, Pain et chocolat, de Brusati, I Vitelloni, de Fellini, et bien sûr Rocco et ses frères, de Visconti, font partie du panthéon personnel de l'auteur des Années Spoutnik. “Quand un de mes personnages Mais la BD de Baru est surtout celle du mouvement. De guingois, sur un pied, penchés, ses personnages sont toujours saisis au vol, dans l'action, comme dans une chorégraphie suspendue. « Quand un de mes personnages est immobile, c'est qu'il est mort ! L'équilibre parfait, c'est le zéro, le néant, la fin. La vie est un déséquilibre », clame ce virtuose du cadrage penché, de la contre-plongée et des plans de coupe. Metteur en scène nerveux, Baru excelle dans l'art de heurter les cases, d'impulser du rythme, de faire monter la sauce, puis de retomber sur ses pattes, comme dans un solo de batterie. Bénéficiaires : les scènes de poursuite, de bagarre, les matchs de foot, et plus encore la boxe, qu'il met magnifiquement en images dans l'un de ses plus beaux albums, L'Enragé. « La BD n'a pas besoin de vingt-quatre images par seconde pour donner l'illusion de la vie. Il peut y avoir autant de mouvement sur une planche dessinée que dans une séquence de film. Il suffit de faire trébucher le lecteur, de l'entraîner dans le déséquilibre... Les images ont en effet ce pouvoir que les mots n'ont pas, de troubler ceux qui les regardent, de les plonger dans une transe légère. Comme le rock'n'roll quand il ne cherche pas à faire de l'art, elles ont quelque chose de primal, d'archaïque qui ne s'adresse pas à l'intellect mais à une zone du cerveau plus profonde, enfouie entre le cortex et le reptilien, pas tout à fait animal, mais pas loin. » On peut compter sur ce working class hero pour faire partager au jury de ce 38e festival d'Angoulême son goût pour la BD qui tangue et qui roule, le baroque et les émotions brutes.
qu'il était génial et que je ne l'étais pas.”
est immobile, c'est qu'il est mort !
L'équilibre parfait, c'est le zéro, le néant,
la fin. La vie est un déséquilibre.”
23:08 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
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