23 juin 2011
mère et fils...
j'adore ce texte...
" La tendresse maternelle dont j'étais entouré eut à cette époque une conséquence inattendue et extrêmement heureuse. Lorsque les affaires allaient bien et que la vente de quelque bijou familial permettait à ma mère d'envisager un mois de relative sécurité matérielle, son premier soin était d'aller chez le coiffeur. Elle allait ensuite écouter l'orchestre tzigane à la terrasse de l'hôtel royal et engageait une femme de ménage chargée d'exécuter dans l'appartement divers travaux de propreté.
Mariette était une fille au bas ventre bien ancré dans un bassin généreux, aux grands yeux malins, aux jambes fermes et solides et doté d'un derrière sensationnel que je voyais constamment en classe au lieu et à la figure de mon professeur de mathématiques. cette vision fascinante était la très simple raison pour laquelle je fixais la physionomie de mon maître avec une si complète concentration. la bouche ouverte je ne la quittais pas des yeux pendant toute la durée de son cour, n'écoutant bien entendu pas un mot de ce qu'il disait. bref, Mariette prenait dans ma vie une importance grandissante. Lorsque cette déesse méditerranéenne apparaissait à l'horizon, mon coeur partait au galop à sa rencontre et je demeurais sans bouger sur mon lit, terriblement encombré. je finis par me rendre compte que Mariette m'observait également avec une certaine curiosité. elle se tournait parfois vers moi, mettait les mains sur ses hanches, me fixait avec un sourire un peu rêveur, soupirait, hochait la tête et disait : " ça fait rien, vous pouvez dire que votre mère, elle vous aime vraiment. elle parle de vous quand vous êtes pas là, et toutes ces belles aventures qui vous attendent et toutes les jolies dames qui vont vous aimer et patati et patata, ça commence à me faire de l'effet. elle me parle de vous comme si vous étiez un prince charmant quoi... mon Romain par ci, mon Romain par là, je sais bien que c'est uniquement parce que vous êtes son fils mais à la fin je me sens toute drôle. c'est même énervant, on se demande ce que vous avez de spécial. "
elle attendit un moment puis soupira et se remit à frotter le parquet. j'étais complètement paralysé, transformé des pieds à la tête en un tronc pétrifié. je savais bien qu'il me fallait faire quelque chose mais je me sentais littéralement cloué sur place. Mariette finit son travail et s'en alla. je la regardais partir avec cette sensation qu'une livre venait de s'arracher de ma chair et de me quitter pour toujours. J'avais l'impression que je venais de rater ma vie. mais je ne connaissais pas alors le dicton célèbre "ce que femme veut, Dieu le veut".
Mariette continua à me jeter des regards bizarres, et le miracle se produisit enfin. je me souviens de ce visage malicieux, penché sur moi et de cette voix un peu ronde qui me disait ensuite en me caressant la joue alors que je planais quelque part dans un monde meilleur, entièrement débarrassé de tout poids : "faut pas lui dire, hein, je n'ai pas pu résister. je sais bien que c'est ta mère mais c'est tout de même beau un amour comme ça. ça finit par faire envie. Il n'y aura jamais une autre femme dans la vie pour t'aimer comme elle, c'est sûr."
c'était sûr mais je ne le savais pas. ce fut seulement aux abords de la quarantaine que je commençais à comprendre. il n'est pas bon d'être tellement aimé si jeune si tôt, ça vous donne de nouvelles habitudes. on croit que c'est arrivé, on croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver, on compte là-dessus, on regarde, on espère, on attend.
avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. on est obligés ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances. on revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. jamais plus.
jamais plus.
jamais plus.
des bras adorables se renferment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour mais vous êtes au courant. vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tout côté, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages. vous avez fait dès la première lueur de l'aube, une étude très serrée de l'amour, vous avez sur vous de la documentation, partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu.
je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leur petit, je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer.
si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine. malheureusement pour moi, je m'y connais en vrai diamant. "
"La promesse de l'aube"
Romain Gary
10:40 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
merci pour ce texte...c'est tellement ça..:)
Écrit par : delphine | 23 juin 2011
moi aussi j'adore ce texte, il me terrifie aussi...
Écrit par : ehret | 12 juillet 2011
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