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10 juin 2012

l'homme en guenilles

elle avance dans la rue, les lampions éclairent les passants, l'air est chaud et l'ambiance festive.

elle va au cinéma. et elle a la tête pleine de questions. elle a mangé dans un restau sympa et là elle va au cinéma. Soudain, elle le voit.

un SDF comme on les appelle. quand elle était enfant, on disait clochard. elle se dit : il porte des guenilles. et quand elle pense ça elle s'étonne : c'est un terme qu'elle trouve dans les contes de fées. "en guenille". "une vieille femme en guenille qui s'approche de la gentille jeune femme et pour la remercier de sa gentillesse la transforme en princesse". voilà, il est en guenilles.

ses bas de pantalon sont déchirés, en lambeaux, il a des savates crasseuses, un manteau déchiré et crasseux qu'il porte sur ses épaules. il est accoudé sur la poublle en fer. il ne bouge pas. on dirait qu'il observe les gens du restau de l'autre côté de la rue.

elle se dit qu'il s'est arrêté à la poubelle car il devait être trop saoul pour arriver jusqu'au banc placé juste à côté. il ne bouge pas.

elle passe et repasse, elle s'inquiète. elle ne veut pas le laisser là, ainsi.

elle ose. elle s'approche de lui.

- excusez-moi monsieur, est-ce que ça va ?

- oui, oui, ça va. 

il a un accent étranger, une voix claire, une locution intelligente. il plante son regard bleu dans le sien. elle ne baisse pas les yeux. elle persiste.

- si je vais vous achete à manger, est-ce que vous allez manger ?

- non, non, je viens de manger, il y a cinq minutes. je viens juste de. c'est comme ça qu'on dit ?

- oui. vous avez un accent, vous n'êtes pas français ?

- non, je suis anglais.

- eh bien si c'est comme ça que la société française est capable d'accueillir les gens, c'est une honte.

- non, non, je vous assure. ça va.

- vous êtes sûr, vous ne voulez pas que je vous achète à manger ?

- non, non, c'est sûr, j'ai mangé là tout juste. il y a cinq minutes. 

il ouvre les bras et elle découvre, enfouis sous son manteau crasseux, deux livres. petit format mais épais. couverture reliée. il les tient contre lui avec tendresse. c'est sûr c'est son trésor.

- et vous allez dormir où ?

- il y a un coin que je connais. je retrouve des gens...

- vous ne pouvez pas vivre comme ça.

leurs yeux ne se sont pas quittés. elle sent en lui une grande sagesse. un homme intelligent, sensible, philosophe qui assume sa situation, sait ce qu'il fiat et pourquoi.

là, il soupire.

elle comprend qu'elle dépasse les bornes. elle n'a pas à lui dire ce qu'il peut ou pas, doit ou pas, être ou faire.

- non, je ne dis pas cela comme une morale que je vous fais... mais...

- ça va.

il tourne ses yeux enfin. il regarde à nouveau le restau en face de la rue.

- ok, monsieur, je vous souhaite une bonne soirée.

elle s'éloigne et ne contrôle absolument pas les sanglors qui montent dans sa gorge. son ventre tremble, se soulève et dans ses yeux c'est une tempête qui déborde. silencieusement, profondément, elle pleure. elle laisse les sanglots remonter et elle pleure. sans pouvoir s'arrêter.

dans la file des spectacteurs au ciné, les gens la regardent inquiets. elle ne peut rien dire. juste pleurer.

quand le film est fini, elle sort vite, espère le revoir. a envie de la revoir mais il n'est plus là.

elle réalise qu'elle s'est permis de l'interpeler parce qu'il n'était pas habillé comme la majorité des gens, comme la norme sociétale l'impose. mais en avait-elle le droit ? irait-elle proposer à n'importe quel individu de lui offrir un repas ? ben non, mais sa tenue l'a convaincue qu'il devait être pauvre et elle s'est permise. elle se trouve nulle. emportée par une norme qu'elle refute en général pourtant.

il a le droit de s'habiller comme il veut même en guenilles. elle sent que cet homme a fait un choix de vie, et qu'intelligent comme il paraît l'être, il assume tout. avec une classe incroyable.

elle repense à ses yeux. à son visage. pas de désarroi, pas de déchéance, pas de misère. ses cheveux étaient hirsutes, éparses déjà sur le dessus du crâne, sa barbe pas rasée depuis un long moment, ses mains cresseuses étaient si belles pourtant. sa peau était foncée par la crasse.

elle a envie de le revoir.

mais lui n'en a certainement pas envie.

elle rentre chez elle, le ventre plié par l'émotion. 

 

Commentaires

Oui, sacré sujet qui nous laisse avec nos questions. :)

Écrit par : Laura Millaud | 11 juin 2012

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