05 octobre 2012
Sohane
c'est la fin de l'après-midi, elle rentre avec deux de ses copines, se moquant de la bouille de l'épicier qui a une facheuse tendance à s'habiller "ringard", il le fait exprès ou quoi ?
elle n'a pas envie de rentrer, il y va avoir sa belle-mère qui va encore lui poser des questions sur d'où elle vient, avec qui elle a encore traîné, va lui faire des reproches sur sa tenue, sur l'heure à laquelle elle rentre, sur sa chambre en bazar et l'aide qu'elle n'apporte pas dans le ménage et la cuisine.
ras-le-bol de cette famille. ce n'est même pas une famille. juste un puzzle recomposé.
ce soir, elle enverra des messages à son amoureux, ça lui fera du bien. elle a bien fait de quitter Nono, quelle brûte celui-là, aucune douceur, trop macho, trop frimeur. Issa est plus solide, plus fort aussi. d'ailleurs cette semaine, Issa lui a foutu une sacrée correction à Nono. il l'a bien cherché et elle se dit que maintenant il va la laisser tranquille.
il a compris qui est le chef, Nono !
soudain, elle le voit.
Nono.
Il arrive vers elles, avec un sac plastique dans une main et un sourire niais sur le visage. elle le déteste. elle ne sait même pas comment elle a fait pour l'embrasser ce pauvre type.
- viens, je voudrais te parler...
- de quoi ?
- je voudrais m'excuser pour l'autre jour..
- ben vas-y...
elle jubile. quel pauvre type ! elle regarde ses copines en souriant. elle se sent forte au-dedans. elle ne pense plus à sa belle-mère et à sa vie médiocre. là, elle se sent protégée par l'ombre d'Issa qui plane au-dessus d'elle.
- non... pas là... pas comme ça...
OK. elle le suit. salue ses copines.
elle ne craint pas grand-chose à ce moment-là.
elle est la petite amie d'Issa.
quand elle arrive près de l'escalier il ouvre la porte de l'immeuble.
- viens, là, on sera plus tranquille.
elle n'a pas envie de se dégonfler devant les copines mais là soudain, elle se sent un peu moins forte..
il la laisse entrer et l'entraîne vers les caves.
- eh, mais tu vas où, là ?
il sort un petit bidon d'essence de son sac plastique et avec une rapidité surprenante il débouche le bidon et l'asperge d'essence.
- eh, mais tu fais quoi là ?
elle pue l'essence, elle dégouline. elle a envie de vomir. mais quel con ce Nono, quel véritable con !
il sort son briquet, fait jaillir une flamme et l'agite devant elle :
- alors, on fait moins sa maligne sans son caïd pour la défendre..
- arrête Nono, tu sais bien qu'Issa va t'en coller une belle si tu me tou..
elle n'a pas le temps de finir sa phrase. son corps s'enflamme en un instant. elle est devenue une torche vivante. elle hurle, se débat, essaie de taper sur ses vêtements en feu.
Nono ne réalise pas... il la regarde sans réagir..
- sale pute ! tu croyais que tu pouvais me quitter comme ça, hein, tu croyais que Nono il ne se vengerait pas hein ? tu te sentais forte avec ton mec ? ben non, Nono il ne se laisse pas faire comme ça..
il peut dire ce qu'il veut, elle ne l'entend plus.
elle est tombée, n'a même plus la force de se rouler au sol pour éteindre le feu. son corps est en flammes, son coeur respire encore un peu...
elle ne se relèvera plus.
"Sohane Benziane a été découverte inanimée, gravement brûlée, le 4 octobre 2002, dans un local à poubelles de la cité Balzac, à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne (94). Elle est décédée quelque temps après à l’hôpital. Sohane Benziane était une jeune fille de 17 ans qui habitait le quartier.
L’auteur du meurtre, âgé de 19 ans au moment des faits, et décrit comme un petit caïd de la cité, avait préparé son coup : sorte d'expédition punitive avec témoins pour faire exemple.
Ce meurtre et ses circonstances particulièrement violentes ont eu un fort retentissement médiatique, choquant fortement l'opinion publique, et levant une importante vague de protestation contre la situation parfois dramatique vécue par les jeunes femmes face aumachisme ou au sexisme. Benziane est devenue le symbole des souffrances que subissent les jeunes filles qui se battent contre le machisme parfois extrême dont elles sont l’objet.
C’est en mémoire de Sohane Benziane que Vitry-sur-Seine fut choisie pour point de départ de la « marche des femmes des quartiers contre les ghettos et pour l’égalité », menée par 4 filles et 2 garçons, qui traversa la France en février 2003, pour aboutir à l'importante manifestation nationale du 8 mars 2003 (près de 30 000 personnes ont manifesté dans les rues de Paris leur soutien à la révolte des femmes des quartiers victimes de la violence machiste), et consacrant la naissance de l'association Ni putes ni soumises."
08:59 Publié dans c'est la vie | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Dur. Bien écrit. Tellement de larmes en pensant à Sohane... et aux autres.
Écrit par : Cécile | 06 octobre 2012
Terrible !
Écrit par : Laura Millaud | 07 octobre 2012
moi ce sont tjs ces points d'interrogation que je laisse flotter qui me dérangent. pourquoi la violence est-elle un acte "naturel" ? quel plaisir prend-on à faire souffrir, à tuer, à massacrer ?
cela reste incompréhensible pour moi, cet égoïsme exacerbé qui fait que pour se venger, justifier la peine que porte notre coeur, on ôte la vie, on blesse, on violente...
la vie des autres est-elle moins importante que notre ressenti ?
non, ça, je n'adhère pas...
Écrit par : calouan | 07 octobre 2012
Je crois surtout qu'ils sont différents de nous. Éducation différente. La femme n'a pas d'importance. La violence est leur seul langage. La loi du "plus fort".
Écrit par : Laura Millaud | 07 octobre 2012
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