Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20 janvier 2008

l'enfant dans l'église

Elle entre en silence. S’assoit au bout d’un banc.
Une voix résonne sur l’autel. Une voix forte et joyeuse. Elle connaît cette voix que tous écoutent en silence. Elle aime cette voix qui toujours la fait rire et la rassure.
Quelques visages se tournent vers elle. Ils ne sont pas tous encore habitués.
Des visages ronds, lunaires. Des visages qu’elle ne connaît pas tous encore mais qu’elle aime voir autour d’elle. Ces visages foncés, vieillis pour la plupart.
Dans le rang d’à-côté quelques sourires. D’autres visages. Toujours ronds, toujours foncés mais jeunes, ceux-là.
Elle baisse la tête, emmêle ses doigts, écoute la voix.
Elle laisse la douceur de l’instant l’envahir. Ils sont tous là pour la même chose. Pour cette douceur d’âme, cette communion dans la foi.
Elle pense à sa vie, là-bas. Sa vie claire. Sa vie différente.
Elle pense que bientôt, elle ne verra plus ces visages ronds, lunaires. Noirs.
Que bientôt, elle n’ira plus prier ainsi.
Parce qu’ils ne seront plus là.
Plus aucun d’entre eux ne sera là.
Ni celui dont la voix éclaire les âmes ce soir.
Elle se dit que sa vie, c’est la leur. A eux dont le visage est rond lunaire. Elle se dit qu’elle est d’ici même si ils ne la reconnaissent pas tous encore.
Même s’ils ne sont pas tous habitués.
Elle se dit aussi que sa vie est ailleurs.
Dans cet ailleurs où elle n’est pas seule. Où des petits bras lui entourent le cou chaque jour, où rien ne ressemble à ici.
Ailleurs où son ventre a enfanté.
Elle se sent tiraillée.
Ici. Ailleurs.
Elle ne sait pas si elle trouvera un équilibre.
Entre cette vie qu’elle aime et celle à laquelle elle appartient.
Celle où tout est déjà prévu, organisé, tout est construit. Où tout est confortable, sain, aseptisé. Sans risque, sans épice. Où tout est si facile. Et où elle se sent si mal pourtant parfois.
Ici, tout lui ressemble.
Elle aime cette sincérité, cette simplicité, cette dureté de la vie qui la rend plus belle, plus riche encore.
Chaque jour, elle serre des mains chaudes, noires, ridées ou non, larges ou petites. Chaque jour, ce geste la fait pleurer. Et la remplit d’un bonheur intense.
Elle prie, elle pense.

Soudain, une fillette se déplace dans l’allée. Elle la reconnaît. C’est sa « fille ». Ainsi appelée à cause de son prénom à elle, la petite, mélange de leurs deux prénoms liés : elle et sa fille. la vraie.
Elle, c'est sa « fille » pour de faux. Juste à cause des prénoms.
Cette fillette qui vient se coller quelques fois contre elle ; sans un mot. Juste pour lui faire comprendre qu’elles sont deux.
Et puis, l’autre jour, à la sortie de l’école, la fillette a mis sa petite main dans la sienne. Sa petite main noire dans sa grande main de toubab.
Elles sont rentrées ensemble, balançant leurs bras, comme des gamines. La grande comme la petite.
Et quand, à un moment, un homme a fait peur aux enfants en criant, la grande toubab a dit à la petite noire qui tremblait :
- Ne t’inquiète pas, je suis là. Il ne t’arrivera rien.
Et un petit sourire est venu éclairer le visage pas si rond que ça de l’enfant. Le visage noir et fermé de l’enfant. Elle n’a pas fui comme les autres enfants. Elles ont continué à marcher tranquillement. Sans crainte.

La fillette s’approche et vient se coller contre elle sur le banc. Les vieilles noires regardent, froncent les sourcils. Ne comprennent pas.
Elles sont assises, toutes deux serrées l’une à l’autre, au bout d’un banc. La voix résonne toujours.
Elles se sentent complètes. L’une avec l’autre. Elles savent.

La femme pense à ce moment où, l’après-midi même, l’enfant lui avait sauté dans les bras au détour d’une rue du village, la couvrant de baisers, casant sa petite tête noire dans le cou chaud de la toubab.
Puis, quand la femme blanche s’était éloignée, elle l’avait interpellée :
- Dis, tu ne me prends pas en photos, moi ?
Et la femme avait souri. Enfin les mots. La confiance gagnée, jour après jour, sourire après sourire dans la cour de l’école. Petit geste après petit geste.

L’enfant touche le bras de la blanche et murmure quelques mots :
- Je veux dormir.
Alors, quand la femme lui sourit, elle grimpe sur ses genoux et s’installe contre son corps, contre sa « mère » pour de faux.
L’enfant dans les bras de la femme.
L’enfant noir, dans les bras de la femme blanche, qui s’endort.
Les vieilles noires autour ne sont pas d’accord. Elles secouent l’enfant , disent quelques mots, la somment de se réveiller. Elles s’en moquent toutes les deux. La mère et la fille collées, liées, inséparables en cet instant.
La voix sur l’autel remplit l’église et la chorale se met à chanter avec fougue.
C’est si beau. Si joyeux. Si rythmé.

La femme se dit qu’elle ne doit pas laisser le temps effacer cet instant. Quand tous les fidèles se lèvent, elle reste assise. Elle prie assise, l’enfant endormie contre son sein. Elle regarde son bras qui entoure l’enfant. Son bras de blanche sur la peau noire de l’enfant. Et elle ne voit que deux peaux noires qui se touchent. Elle voit sa peau devenue aussi noire que celle de l’enfant.
Elle se dit :
- On est pareilles elle et moi, noires toutes les deux.
Mais elle sait bien que sa peau est blanche au-dehors. Elle sait bien que les autres ne voient que cette couleur extérieure.

La fillette dort, la femme vit, respire, soupire, heureuse.
Quand il faut se serrer la main, faire un geste de paix, « la paix du Christ », l’enfant se réveille. La femme se lève avec l’enfant dans ses bras, la porte, et elles serrent les mains à deux. Toujours liées, toujours collées.
Leur sourire ne fait qu’un.
Les vieilles ne font plus attention, elles serrent la main de l’enfant et de la femme réunies.
Les jeunes sourient et serrent les mains aussi.
Plus personne ne s’étonne. La mère et la fille liées.
La noire et la blanche.
La petite et la grande.
Celle du village et la toubab.
Louise Corinne.




ac5d7b1d1a5564205114fe6fd3abcb26.jpg

Commentaires

Mmmmm..... qu'est-ce que c'est beau ! Ca se passe de commentaire... Bisous Calou.

Écrit par : Marie Zim | 20 janvier 2008

La paix du Christ, ma Corinne, Louise.

Écrit par : Cécile | 20 janvier 2008

C'est magnifique..

Écrit par : Eric | 20 janvier 2008

Que c'est beau !
bisous ma Calou d'ici et d'ailleurs...

Écrit par : Virginie | 20 janvier 2008

Oh calouan !
J'ai mal en te lisant, et je partage cette impression de "complétude heureuse", aussi...
Je t'embrasse fort.

Écrit par : anne ferrier | 20 janvier 2008

Anne, il ne faut pas avoir mal : je voulais justement montré combien le bonheur arrive soudainement, follement, intensément, sans qu'on s'y attende, quand notre coeur s'ouvre au souffle de la vie, quand notre âme s'allège, quand on veut croire encore que tout est possible.

j'ai eu tant d'appréhensions avant de partir, et tant de merveilleux souvenirs en revenant.

il semble que quelques fois, quand on ne pousse pas les choses, elles arrivent au meilleur moment, quand tout est prêt, quand c'est "bien" pour nous.

Eric : merci.

Virginie ma douce : j'ai perdu ton cadeau offert là-bas. au début, cela m'a peinée. et puis, je me suis dit que je t'avais laissée un peu aussi, avec mon âme... là-bas.
et que tu en serais certainement très heureuse.

Écrit par : calouan | 20 janvier 2008

je suis très touchée ma Calou, tu as bien fait ! ;-)

Écrit par : virginie | 20 janvier 2008

vois-tu Virginie, je n'avais pris qu'une petite pochette avec ton cadeau dedans, l'appareil photos, des francs CFA et mon étui à lunettes de soleil (les lunettes étant sur mon nez).

ton cadeau est déjà tombé une première fois, dans le jardin d'enfants (école maternelle en fait) et un petit garçon me l'a ramené. il s'appelait : Doudou Antoine Dou. (là-bas, c'est coutumier d'avoir plusieurs prénoms...)
incroyable non ???

et puis, il est retombé une 2e fois, je ne sais pas quand...
mais je ne l'ai pas retrouvé.

Écrit par : calouan | 20 janvier 2008

Il voulait rester là-bas c'est tout !

Écrit par : virginie | 20 janvier 2008

c'est ce que j'ai pensé...

Écrit par : calouan | 20 janvier 2008

Je viens de lire cette note tite louve, 2 fois...j't'aime....

Écrit par : le Pierrot | 23 janvier 2008

Pierrot, t'es pas fou ??
il va penser quoi mon George au café, s'il lit ces mots ???
what else ?... what else ?... termino... expresso... finito... il ne demandera plus rien s'il connait mes infidélités le beau Clooney... pfffuuuu

Écrit par : calouan | 23 janvier 2008

Les commentaires sont fermés.