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03 avril 2014

Lupano

La série Azimut, créée en collaboration avec Jean-Baptiste Andreae (actuellement exposée à la Galerie Napoléon), nous fait voyager dans les couloirs migratoires de la création à quatre mains. 

Will Lupano a une marque de fabrique : "je préfère suivre plusieurs personnages en même temps. Dans mes albums, il n'y a pas un seul héros récurrent. Il y en a plusieurs". Ses anti-héros prennent successivement en charge l'histoire. Ils ont tous une même quête. L'intrigue progresse de coup de théâtre en coup de théâtre. Dans Azimut, un explorateur qui a perdu le Nord  accoste sur la plage de Panduche en même temps que des poissons volants géants, sortis de leurs couloirs migratoires. Graphiquement, le conquistador a des allures de major moebusien. Il rencontre une pin-up aux contours rebondis, Many Ganza, dont les seins sont gonflés à bloc à l'hélium (elle finira d'ailleurs par s'envoler dans les airs). Elle-même a croisé un lapin blanc , fondu d'amour, échappé des livres de Lewis Carroll. Le lapin voyage en compagnie d'un chasseur de prime, un légionnaire bientôt ensablé.

Lupano est un amateur du non-sens à l'anglaise et de chasse au snack : "Lewis Carroll, Swift, Les voyages de Gulliver… Les auteurs anglo-saxons nous décomplexent du vraisemblable. Il existe aussi des solutions imaginaires. Mes voyages sont plus immersifs que linéaires. Je fais appel au ressenti plutôt qu'à l'intelligence. Surtout je veux garder à cet univers, sa part de mystère". Des références qui vont jusqu'aux Monty Python : "Andreae m'a envoyé des visuels. Il y avait aussi bien Terry Gilliam que Russ Meyer." Une galerie de l'évolution narrative qui, dans les volumes d'Azimut, s'éparpille jusqu'aux inoubliables saugres. Un foisonnement bondissant de personnages secondaires géniaux, tous issus des cahiers graphiques d'Andreae. Comme des petits cailloux, ils balisent cette étrange chasse au trésor. On retiendra  la balance des juges-troncs aveugles, les terribles Hyacinthe et Absinthe, pour le tome 1 ou encore "la tortue de l 'AFP" pour le deuxième volume. A mi-chemin entre une caisse-enregistreuse et le rouleau du sismographe.

Lupano travaille sur le rythme des planches avec Jean-Baptiste Andreae. "Bien sûr, il ne faut pas perdre le lecteur. C'est une sorte d'errance joyeuse. Le rythme est avant tout graphique. Nous veillons à l 'équilibre des différents éléments". Par exemple, l'alternance des teintes chaudes et des teintes froides. Les couleurs d'Andreae , exceptionnellement soignées, ses changements de gammes chromatiques marquent de manière efficace la succession des séquences. Le dessinateur précise : "Les ambiances, je les transcris à l' aide de la couleur. Il y a un réel échange entre Wilfrid et moi. Il fait un découpage planche par planche, au quart de poil. Ensuite, il faut travailler case par case, éviter la surcharge d'informations, resserrer. J'ai une mise en couleur détaillée. J'alterne scènes spectaculaires et parties  narratives en fonction de mon dessin." Il évoque  Carlos Nine et son érotisme burlesque.

Lupano précise : "J'écris entièrement tous les dialogues, page par page. Il y a des va-et-vient avec le dessinateur. Le danger, c'est qu'il ne faut pas brider sa créativité. Il vaut mieux nous relancer à chaque nouveau tome, partir sur de nouvelles pistes. Que les dessins explorent certains aspects nouveaux de l'univers que nous venons d' inventer. Moi, j'ai juste  besoin de quelques éléments ou du retour de certains personnages pour faire avancer mon histoire. Avec Jean-Baptiste, nous ne savions pas si les pages consacrées au baron Chagrin allaient fonctionner. Avec sa gamme grisée qui inclut des personnages en couleur. Nous nous demandions si le lecteur allait suivre. Au final, le passage fonctionne." C'est même l 'une des réussites de ce deuxième tome. La force du dessinateur étant aussi de donner vie à des intuitions d'auteur en les sortant de l'ornière des clichés. Jean-Baptiste Andreae réussit le pari de manière à la fois légère et percutante visuellement. Un baron volant, à la Miyazaki, mais  en noir et banc, vampirisant la couleur pour en extraire un sang translucide et résineux. La partie n'était pas gagnée.

 

Un dessin qui penche parfois du côté du steam-punk rétro avec ses fulgurances en matière de breloquerie spatio-temporelle. Ses bimbeloteries, ses mécaniques de précision plus ou moins aléatoires, dignes d'un cabinet de curiosité : crônes, belle-lurettes, insectes chronoptères et taons funestes font partie du catalogue. Dans le deuxième volume, les multivers de la série prennent de la consistance. La femme-sable avec la banque du temps ou le château du baron Chagrin forment des entités pleines d'"obsolescence" - pour reprendre un titre de Günther Anders. Ces passages rappellent parfoisLes Cités obscuresde Schuiten et Peeters. L'un de auteurs cité par Lupano étant d'ailleurs Jacques Abeille, de la même région que lui, dont les oeuvres ont été illustrées par Schuiten. Lupano est un habitué des  jeux de rôle .Il faisait un excellent maître de jeu : "ils favorisent l'imagination, moi, je proposais les histoires, j'imagine des situations. Mais après il faut rythmer, structurer. Je mets un mois pour écrire un scénario." Il en faut ensuite au minimum dix pour le dessinateur. En attendant la suite d'Azimut, l'exposition des dessins et croquis d'Andreae à la galerie Bonaparte permettra dès la fin mars de prolonger l'aventure. Si, dans le tandem Lupano/ Andreae l'auteur peut travailler simultanément sur plusieurs albums, le dessinateur, en revanche, avance sur un projet unique.

 

 

 

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