02 décembre 2014
le monde de Markus Gabriel
"Nous connaissons en effet ce qui existe, soit une infinité de choses, de faits, de réalités, mais pas le prétendu monde qui les engloberait tous en une sorte de superstructure, contexte de tous les contextes. Car, non, un tel monde n'existe pas... « Le monde même n'apparaît pas dans le monde. En tout cas, je ne l'ai jamais vu, touché ou goûté », précise le jeune professeur allemand. « Je ne me limite pas à affirmer que le monde n'existe pas, je soutiens aussi que tout existe excepté le monde », synthétise Markus Gabriel, un un prodige allemand de 34 ans, est devenu, en 2009, le plus jeune titulaire d'une chaire de philosophie. De Bonn, où il vit et enseigne, le penseur né en 1980, qui a consacré sa thèse à l'idéaliste allemand Schelling, rayonne à travers les continents et les âges, organisant colloques, prodiguant cours ici ou là.
Ce globe-trotteur polyglotte est le porte-voix d'un courant philosophique très actuel, le « nouveau réalisme », qui rassemble une nouvelle génération avide de dépoussiérer les rayons de la vieille discipline, pour mieux penser la singularité de notre époque et même susciter une attitude neuve face au monde.
« On rencontre des elfes dans les contes de fées, mais pas à Hambourg ; il y a des armes de destruction massive aux Etats-Unis, mais – pour autant que je sache – pas au Luxembourg. La question n'est donc jamais simplement de savoir si quelque chose existe, mais de savoir où quelque chose existe », écrit-il dans Pourquoi le monde n'existe pas.
Les meilleurs ennemis du nouveau réalisme, ce sont dès lors toutes les théories totalisatrices qui présentent le monde comme un tout : d'un côté, le scientisme, qui prétend que la science délivre la vérité ultime, et à l'autre bout du spectre, le nihilisme, qui prétend que rien n'existe ou que rien n'importe. Markus Gabriel élit ainsi domicile entre le tout et le rien. « J'ai mis dix ans à clarifier ma position. J'ai d'abord pensé que la non-existence du monde signifiait que rien n'existait, puis j'ai réalisé que le monde et les choses, c'était différent. Désormais, je nie l'existence du monde mais je crois en la réalité des choses. »
22:17 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
dur pour un matin ... tes textes se digèrent bcp mieux ! :)
Écrit par : Laura Millaud | 03 décembre 2014
Urgh, hard, c'est vrai. Je suis allé voir le site de Télérama et j'ai lu d'autres extraits de l'article qui lui est consacré et que j'ai presque compris. Je vous les livre :
« Je crois que la vie d'un philosophe doit prendre la forme d'une comédie, vu que la mort est une certitude. La comédie est bien plus libre que la tragédie. Il faut se réjouir chaque jour des possibilités de son temps », affirme l'auteur. Ambitieuse et conquérante, cette liberté lui donne aussi une forme de légèreté, voire d'impertinence. Immense succès outre-Rhin (cent mille exemplaires vendus), son livre mixe ainsi esprit de sérieux et sens de l'humour, démonstrations les plus logiques, étayées par un glossaire, des diagrammes, et références foisonnantes, débridées, à la culture populaire.
“L’œuvre qui exprime le mieux l’esprit et la vérité de l’époque : les séries télé”
Les séries télé y figurent en excellente place. « Les séries combinent tous les arts : cinéma, littérature, poésie, musique. C'est l'œuvre complète de notre temps, la plus vivante, celle qui exprime le mieux l'esprit et la vérité de l'époque ; chaque semaine, une nouvelle série réfléchit à ses conditions historiques d'apparition, à notre monde contemporain, social et géopolitique. » Ses séries préférées ? Arrested Development, Breaking bad et Seinfeld – normal, en allemand, Sein signifie « être »...
Fruit de l'époque et de la discussion, la philosophie peut surgir de partout. « On peut manger de la philosophie dans un restaurant, s'amuse le penseur, ou rencontrer quelqu'un dans un train qui vous donne un argument bien plus convaincant qu'un mauvais argument académique. Je ne veux pas avoir raison, je veux dire la vérité ; si on me démontre que j'ai tort, je changerai d'idée, c'est mon boulot. Je hais le dogmatisme. En philosophie, la seule autorité, c'est la pensée juste, c'est pour cela qu'il faut cesser d'idolâtrer les penseurs morts, et renoncer à l'idée d'un passé glorieux, d'une grande tradition qui nous aurait précédés et qu'il faudrait respecter coûte que coûte. » D'ailleurs, « le panthéon philosophique n'est-il pas finalement qu'un groupe de vieux hommes, blancs et riches : Socrate, Platon, Kant... Où sont les femmes, les Noirs, les Chinois ? ».
Volontiers provocateur, Markus Gabriel n'est pas tendre avec ses prédécesseurs ! Kant, notamment, et tous les idéalistes qui pullulent en Allemagne en prennent pour leur grade. « En Allemagne, l'idéologie officielle d'Etat est fondée sur la pensée de Kant. La première ligne de notre Constitution est une citation de Kant : “On ne peut toucher la dignité de l'homme.” Or, moi, je suis contre Kant ; il pense que nous créons la dignité de l'homme en y croyant, je pense que tout le monde a de la dignité humaine, et cela est indépendant de notre croyance. Même l'Etat islamique a une dignité humaine. Le mal radical est une possibilité de l'être humain. »
Autre cible : Habermas, chantre d'une idée européenne postnationale, cosmopolite, inspirée par le concept de monde tel qu'il a été élaboré par Kant (et qui présuppose que le monde est une totalité, une idée nécessaire, « régulatrice »). Mais quelle forme le nouveau réalisme pourrait-il prendre politiquement ? « Une démocratie radicale, qui fasse de la liberté et de l'égalité ses valeurs centrales pour lutter contre la vision scientiste dominante, celle qui pense que les valeurs sont des expressions de notre espèce animale. Croire ainsi que l'égalité, c'est l'altruisme des singes, c'est problématique : à mes yeux, c'est le contraire de la démocratie. Vivre en société, c'est dépasser ses instincts animaux. »
Et pourtant, cette démocratie « réaliste » pourrait bien être une « promesse européenne » : « Il faut définir l'Europe à travers des idées, et pas seulement comme économie. Où sont les journaux européens ? Les Allemands ne lisent pas la presse française et inversement, puisqu'on n'enseigne presque plus l'allemand en France, ni le français en Allemagne. C'est un énorme problème ; nous avons besoin de beaucoup plus d'éducation pour avoir une Europe digne de ce nom, pour connaître les idées des voisins. »
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Écrit par : jean | 03 décembre 2014
je trouve qu'il y a tant à creuser dans ce qu'il dit... si j'avais un peu de temps, je plongerai dans son monde...
Écrit par : calouan | 03 décembre 2014
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