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12 juin 2007

l'olivier

j'avais promis la fin de l'histoire écrite à 6 mains un beau samedi ensoleillé.
la voilà.
avec en prime l'illustration qu'a réalisée en même temps que nous écrivions Elsa Huet, dont la douceur, l'humour et le talent me touchent beaucoup...

je vous l'avais dit : magie et tendresse au programme.
bonne lecture !

Jusqu’à…


Fernand n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Marc, l’agent municipal, s’approchait de lui à grands pas.
- Fernand, tu ne peux pas rester là… Tu piétines les fleurs. Lève-toi de sous l’olivier, et fissa…
Le vieux cycliste ronchonna et se redressa douloureusement, sentant craquer ses articulations enkylosées.
Il se dirigea vers la boulangerie enfin ouverte, poussant son vélo cabossé et, laissant celui-ci contre le mur de la boutique, il entra acheter une demi-baguette « pas trop cuite, mais croustillante quand même », la même demi-baguette qu’il prenait chaque jour depuis des années.
Quand il ressortit, il retrouva la place déserte et, après avoir vérifié que personne ne venait, il se replaça sous l’olivier. Il coinça son dos courbatu contre le tronc et replongea dans son récit.
Il farfouillait dans sa mémoire et tous ses souvenirs étaient intacts. Il revoyait celle qu’il avait tant aimée, son visage souriant, son pas élancé.
- Toutes nos années partagées n’ont été que bonheur, je te le dis, l’arbre ! Pas une dispute, pas un malentendu ! Pas un seul nuage à ce beau tableau… Et pourtant la vie n’était pas toujours facile…

Le poids de son passé lui faisait courber le dos plus encore.
- Et c’est dix ans après que je reçus cette fameuse lettre.
Il fit une pause. Un long soupir sortit de sa bouche à peine entrouverte. Que tout cela était loin… Mais comment aurait-il pu oublier ?
Il y pensait encore si souvent. Joséphine…
- Dix ans qu’elle n’était plus là et voilà que le facteur, il posait cette lettre sur la table de la cuisine ! Bon dieu de bon dieu ! La lettre, tu entends, l’olivier ?…

Le vieux cycliste se cala le dos un peu plus contre l’écorce noueuse de l’arbre, le cul écrasant un peu plus le bégonia du massif… Il n’avait jamais parlé de ça à personne et l’émotion lui serrait la gorge.
- La lettre, eh bien, elle était écrite de sa main… Oui, comme je te le dis ! Elle m’écrivait à moi tous les mots qu’elle avait envie de me dire de là où elle était. Tu te rends compte, un peu, l’olivier ?

La main du vieux Fernand caressait lentement la peau rêche de l’arbre. Sa joue maintenant plaquée contre l’écorce, ses doigts exploraient doucement la courbure de ses branches basses.
Il parlait sans même plus en avoir conscience, les mots glissaient seuls hors de sa bouche.

- Alors, moi aussi, j’ai voulu lui parler, même si j’ai du mal à trouver les mots, d’ordinaire… Tu sais, elle savait tellement bien dire, elle, tellement mieux que moi… Moi je ne disais pas trop… Et puis, elle est partie et je n’ai plus pu rien dire.

Peu à peu sa peau marbrée par l’écorce se confondait presque avec elle. Quelques feuilles vert-bronze dépassaient de sa barbe râpeuse du matin…
- J’ai voulu lui dire mes mots, mes mots pour elle, l’olivier… Mais je ne savais pas où les dire, à qui les envoyer, à quelle oreille les chuchoter…
De tout leur poids, les jambes de Fernand creusaient le massif de bégonias, coulaient lentement dans la terre épaisse.
- Je cherche Joséphine à travers les arbres depuis ce temps-là, l’olivier. Eux ils m’écoutent, ils se taisent, ils me laissent parler, ils comprennent mes mots, ils les gardent en eux comme un secret jamais enfoui… Ces mots… ces mots que j’ai gardés depuis tout ce temps… Joséphine…

L’écorce rugueuse l’enveloppa lentement, lui, le vieux Fernand et ses mots pour Joséphine. Lentement. Si lentement.

Quand Marc, le garde municipal, passa sur le soir, il s’arrêta d’abord en grommelant contre ce vieux fadoli qui avait bousillé le massif de fleurs communal. Et puis, il cessa de rouspéter et même de respirer un instant quand il aperçut le visage et le corps du vieux Fernand sculptés dans le tronc du petit olivier.



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