Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11 mars 2014

la nouvelle...

voilà la nouvelle intitulée "douleurs et tremblements" telle que je l'avais écrite à l'époque et qu'on retrouve dans le fameux recueil :

 

Je me réveille en sursaut. Mon cœur bat à tout rompre. Décidément, ça devient une habitude. Cette peur du noir.

Je voudrais me retourner.  Dormir sur le ventre. J’adore dormir sur le ventre. Jambes écartées, à demi repliées.

J’appelle « Pete, tu es là ? » J’ai l’impression d’entendre un vague murmure : « Oui, ma Diane, je suis là. »

Ca fait trente ans que Pete et moi dormons ensemble. Je ne sais plus dormir sans lui. Sa peau. Son odeur. Lui.

Quelle heure peut-il bien être ? Je n’ai pas moyen de le savoir.

Allez Diane, fais un effort, rendors-toi, tu n’as que ça à faire.

Je pense à Joy. Ma Joy. Ma fille. Notre fille. Ma force, mon courage.

Elle va bientôt avoir vingt-six et un bébé aussi. Joy est enceinte. Je vais être grand-mère. Je lui ai demandé : « C’est une fille ou un garçon ? » Elle ne sait pas. Joy ne veut pas savoir, elle dit qu’elle préfère la surprise. Mais moi, je sais, je sens que ce sera une fille. Ma petite-fille.

Je vais être grand-mère. Je l’emmènerai au parc et on se fera des orgies de glace. Chocolat-pistache. Parce qu’elle sera comme moi, elle adorera la pistache. Comme Joy. Il y a des choses qui se transmettent de génération en génération, comme l’amour de la pistache. Mélangée au chocolat glacé fondant.

Quand elle était petite, Joy avait des jolies boucles qui entouraient son visage poupin. Je replonge dans ces images d’un autre temps. Je sais bien que ce n’est pas possible de revenir en arrière mais ces souvenirs me font du bien.

Je ferme les yeux. D’autres clichés viennent se superposer.

Celles d’enfants blessés, malades, démunis.

J’ai vu tellement des enfants en souffrance. Je ne pouvais accepter que la chair de ma chair ait mal. C’est pourquoi, nous avons choisi de n’avoir qu’un enfant. Joy. Une enfant « facile » comme on dit, très peu malade, une vraie joie de vivre. Pete et moi en étions fous.

Ici, à Concepcion, je suis venue faire une nouvelle expérience.

Dans un hôpital au « bout du monde ».

Je vois défiler des prisonniers. Des jeunes. Des adultes aussi.

L’autre jour - c’était quand déjà ? Trois jours ? Quatre jours ? – un homme a débarqué à l’hôpital  avec une blessure d’une profondeur d’au moins sept centimètres dans la zone hypogastrique de la paroi abdominale. Il n’était pas très vieux – comment s’appelait-il celui-là ? allez, Diane, fais fonctionner ta mémoire, il faut que tu retrouves son nom… Ra… Ramon, c’est ça ! Ouf ! Ma tête n’est pas trop engourdie encore ! – mais son état était bien grave. Une plaie à l’abdomen, une au bras. C’était un « comunero » qui faisait la grève de la faim.

Pas facile d’assister à tant de déserrence.  Je revois ses yeux cernés, son corps amaigri et cette plaie si profonde. Les médecins de l’hôpital ont réussi à saturer les deux blessures, mais j’ai compris que j’ai fait un choix délicat en venant au Chili.

Et puis, les enfants bien sûr. Je dois avouer que j’ai mal encaissé ces quatre enfants – ils n’avaient même pas deux ans – qui n’ont pas survécu aux diarrhées et vomissements dont ils étaient sujets. Ils n’ont pas été soignés à temps. Issus de la communauté indigène sawhoyamaxa qui vit à Santa Lisa, ils n’ont eu droit à aucun soin médical. Devant l’ampleur du problème, la cour interaméricaine des droits de l’homme a décidé que ces communautés ne pouvaient vivre sur des terres ancestrales et que les autorités du Paraguay avaient l’obligation légale de leur fournir des services de base visant à assurer leur survie, notamment des soins médicaux, de la nourriture et une eau potable saine. Drôle de pays.

 

J’ai mal au pied gauche. Ce n’est pas vraiment que ça me gratte mais c’est une douleur sourde. Mon pied s’endort. J’essaie de ne pas y penser.

Je voudrais me rappeler pourquoi j’ai accepté cette mission.

« Pete, je ne te l’ai pas dit depuis longtemps, mais je t’aime. Ca fait si longtemps maintenant que nous vivons côte à côte et j’en oublie souvent les mots qui cajolent et rendent heureux… »

Je me souviens de l’annonce. Un hôpital à Concepcion cherchait un médecin avec une spécialité de pédiatre. Concepcion… J’ai pensé au Christ, immédiatement. Je me demande ce qu’il fait en ce moment le Christ. Il doit être en vacances. Février, c’est l’époque du ski,  l’après Noël, le redoux qui s’annonce.  Ici, il fait beau. Je me suis souvent sentie fâchée contre ce Christ qui laisse les gens dans une telle misère physique. Les enfants surtout. Des innocents.

Je ne dois pas m’énerver. Je dois positiver.

Mary, c’est joli comme prénom. Ma grand-mère s’appelait Mary. C’était une femme formidable. Si douce et si courageuse. Elle me faisait tellement rire. Joy pourrait donner ce prénom à sa fille.

Voilà. Penser à ce petit bébé qui va arriver. Je lui achèterai son premier vélo. Sa première paire de patins à rouettes. Sa première robe de princesse aussi pour le carnaval. Avec des paillettes. Et un diadème aussi. Une vraie princesse. On ira au cinéma ensemble voir les films de Disney. Rien qu’elle et moi.

C’est ma grand-mère qui m’a appris à faire du vélo quand j’allais en vacances chez elle à Cromer. On allait sur le port voir les arrivées des pêcheurs. Je roulais à côté d’elle qui marchait. Et me surveillait du coin de l’œil.

Il fallait voir les crabes qu’ils sortaient fièrement de leurs cageots. Grand-mère Mary savait si bien les cuisiner. Hum… J’ai faim. C’est vrai j’avais oublié que j’avais faim. Mais là, ça ne sert à rien de me faire mal avec ça. Régime forcé ma petite dame. Je vais avoir une de ces lignes si je m’en sors.

Si je m’en sors.

Non, non, ne pas pleurer.

Je vais me mettre au yoga. Depuis le temps que j’en ai envie... Ca me ferait du bien. Je pourrais apprendre à gérer mes stress mes angoisses mes peurs.

Pour un peu, je regrette de ne pas m’y être mise plus tôt.

Apprendre à contrôler sa respiration, ses pensées. J’en aurais tellement besoin actuellement. Ce noir me terrifie. J’ai toujours eu cette peur de ce que je ne vois pas. Quand j’étais enfant je pensais avec effroi que la pire chose qui aurait pu m’arriver c’était d’être aveugle. Ma mère laissait toujours une veilleuse allumée à côté de mon lit. Sans cela, je ne pouvais m’endormir. Finalement, quand on n’a pas le choix on s’y fait. Dans ma tête je m’imagine la petite lumière près de moi. Ca va me rassurer. Il le faut !

 

« Diane Lackey, acceptez-vous de prendre pour époux Pete Waldon ici présent ? » Oui. J’ai dit oui et si c ‘était à refaire aujourd’hui encore je dirais oui. Repenser à ce magnifique jour… Je sens que je déraille, je dois me concentrer sur des beaux souvenirs tels que celui-là, sinon c’est sûr je vais devenir folle. Complètement folle. Ca fait combien de temps que ça dure tout cela ? Je suis bien incapable de le dire.

« Pete Waldon voulez-vous prendre pour épouse Diane Lackey, ici présente, de l’aimer, de l’honorer jusqu’à la fin de vos jours ? » Tu as dit oui aussi. Emu. J’entendais ma mère qui reniflait derrière nous. C’est d’un classique les larmes d’une mère au mariage de sa fille. Mais n’empêche, ça m’a touchée. Maman, tu ne serais pas à ton aise si tu me voyais aujourd’hui. Je crois qu’encore une fois, on te verrait pleurer. Tu étais tellement sensible.

J’entends les applaudissements de nos amis quand nous nous sommes embrassés après ce serment éternel.

Oui, je les entends aussi nettement que si c’était aujourd’hui. Mais non… ce ne sont pas des applaudissements. J’entends des coups. Il y a du bruit au-dessus de moi. Je ne dois pas m’emballer. Je dois rester calme me contrôler.

Les coups s’intensifient. Je voudrais crier. Je pousse l’air dans mes poumons, le peu d’air qu’il reste et je me concentre. J’ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Envie de pleurer. Je ne dois pas laisser passer ma chance, ah non, sinon, tout est fini pour moi.

Comment faire pour alerter de ma présence ?

Le bruit se précise. Je prie : Seigneur tout puissant je ne vous ai jamais rien demandé mais là je mets toute ma foi dans cette prière, laissez-moi vivre, laissez-moi revoir Joy et Mary qui va arriver. Et peu importe, même si c’est un garçon, laissez-moi être la grand-mère de cet enfant !

Il y a beaucoup de grabuge au-dessus de moi, j’entends des voix maintenant. Je veux croire que c’est bon signe. J’essaie à nouveau de crier mais une fois encore aucun sort ne se fait entendre. Comment faire ? Ne pas paniquer. Réfléchir si je le peux encore.

Tant que le bruit est là, je dois garder espoir.

Ca se rapproche. Je sentirais presque un filet d’air si je ne m’imaginais pas sombrer dans la folie. Mais oui, je sens un peu d’air. Je tente de tourner un peu ma tête. Bloquée. Shit ! Les voix encore. Des voix d’hommes.

« Je suis là, je vous en prie, sortez-moi de là… Venez me sauver, ne me laissez pas… »

Maintenant je vois un peu de lumière. La pression sur ma poitrine se relâche. C’est un miracle ! Je distingue plus nettement les paroles échangées.

Ces hommes recherchent des corps. Ils n’ont pas l’air convaincus d’y arriver. « Mais si ! Je suis là, messieurs, n’abandonnez pas, je suis là ! » Et toujours ma voix qui ne dit rien.

Le trou de lumière s’agrandit. Il faut que je me fasse entendre avant qu’ils ne décident de cesser leur recherche. J’entends un homme qui dit : « On arrête tout ! Depuis quatre jours, il n’y a plus aucune chance de sauver quiconque ! Peu d’espoir de retrouver des survivants… »

Je sens mon coeur qui lâche prise au-dedans. Tout est perdu. Ils vont me laisser crever sous terre, ensevelie par ce tremblement de terre qui a fait s’écrouler l’hôpital de Concepcion. Je n’ai plus qu’à me laisser mourir. Tout est fini.

« Non, attends, je vois un pied, là… regarde, je ne rêve pas, c’est bien un pied… je distingue des orteils… »

« Je ne donne pas cher de ce corps s’il y a vraiment quelqu’un en dessous… On risque de trouver un cadavre… »

Et là, je mobilise toute l’énergie que j’ai en moi, toute la volonté dont je n’ai jamais su faire preuve et j’ordonne à mon pied de bouger. A mes orteils de faire un mouvement.

« Si ! Regarde, il a bougé ! Le pied a bougé, j’en suis sûr ! Dépêchons-nous, il y a quelqu’un vivant sous ces décombres ! »

Merci, mon Dieu !

Commentaires

Beau texte. Et merci d'avoir ecrit une issue optimiste ! :)
Il sera dans ton futur recueil ?

Écrit par : Laura Millaud | 28 mars 2014

Les commentaires sont fermés.