"C'est le calme avant la tempête. On a préparé beaucoup de choses. J'espère que l'on n'a rien oublié." Dans son bureau de la rue François Ier, Marc Simoncini sait qu'il a passé un point de non-retour. Lundi, il a relancé la bataille des lunettes pas chères en France. Le fondateur du site de rencontres Meetic a de la suite dans les idées. Fort de son succès sur le marché de la vente en ligne de lentilles, il s'est attaqué fin 2015 au segment des montures et des verres de correction avec la marque Sensee. Deux ans plus tard, le succès n'est pas encore au rendez-vous. Alors, il a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il révèle au JDD les secrets de sa nouvelle offensive.
Les deux années qui viennent de s'écouler lui ont beaucoup appris. "Le projet initial de Sensee, c'était de vendre des lunettes sur Internet beaucoup moins cher qu'en magasin, raconte-t-il . Il a d'abord fallu passer par six à sept années de combats juridiques et réglementaires pour obtenir enfin une loi – la loi Hamon – qui assure une stabilité à cette activité. On a très vite compris que l'on n'arriverait pas à s'approvisionner avec des lunettes et des verres de marque si on cassait les prix. On a donc décidé de produire des lunettes en France et de les vendre peu cher. Nous avons créé une collection de 400 montures portant le label “Origine France garantie” fabriquées dans le Jura. Mais cela supposait que les consommateurs puissent les toucher et les voir. Ils ne devaient pas penser qu'à ce prix, ce n'était pas des bons produits. D'où la décision de créer des showrooms, et nous en avons ouvert quatre."
Ainsi a-t-il pu tester son concept. Voir comment la clientèle réagissait. Et, surtout, adapter sa politique tarifaire. Les prix des paires étaient fixés entre 59 et 89 euros, deux à trois fois moins que les prix du marché. Mais pour faire enfin décoller les ventes, il va aller beaucoup plus loin.
"Puisque les gens ne connaissent pas notre marque, puisqu'ils sont habitués à avoir des promotions complètement dingues dans l'optique, on s'est dit que l'on allait proposer, en maintenant le standard de qualité origine France garantie, le tarif le plus bas possible, annonce Marc Simoncini. Nous sommes arrivés à un prix coûtant de 17 euros auquel nous ajoutons 1 euro, notre marge. Nous lançons donc une grande campagne de pub pour promouvoir des lunettes avec deux verres de correction simple à 18 euros."
Son objectif : débloquer le marché de la vente en ligne de lunettes. Le consommateur ne prend plus de risques. S'il n'est pas satisfait, il dispose de trente jours pour retourner son produit et pour être remboursé.
Le plan média est puissant : 3 millions d'euros brut vont être investis pendant trois semaines. Marc Simoncini pense que son offre va séduire un large public, à commencer par celui des étudiants et des personnes qui ne disposent pas de mutuelle. Dans le même temps, il étoffe son réseau de showrooms pour mieux couvrir le territoire. Il innove là encore en s'associant à la Fnac. Deux corners viennent d'être ouverts à Vélizy et à Bordeaux. Les clients des magasins peuvent déjà y acheter des lunettes de protection contre la luminosité des écrans et découvrir tout la gamme de lunettes Sensee. "Si l'expérience est concluante, nous pourrions être présents à terme dans plusieurs Fnac, espère-t-il . Nous parlons également avec d'autres enseignes. Nous visons un réseau de 50 showrooms. Nous n'avons pas besoin de plus car notre métier reste l'Internet."
En changeant aussi brutalement les règles du jeu d'une profession, il est conscient de s'exposer à des représailles. Ses partenaires sont en première ligne. "Je ne peux pas citer le nom du grand verrier avec qui nous travaillons car il risquerait d'être écarté par les opticiens", explique-t-il. Même inquiétude pour son fournisseur de montures jurassien. "Nous avons beaucoup de mal à trouver des fournisseurs qui acceptent de travailler avec nous."
Une tempête s'annonce, mais cela ne l'effraie pas. "On va se faire réattaquer à nouveau par nos petits camarades, médiatiquement et probablement juridiquement, prévoit-il. Mais nous voulons mettre de la transparence dans le marché le plus opaque qui soit. La France est le dernier pays européen où on ne vend pas de lunettes sur Internet, assure-t-il . Je veux toujours faire baisser les prix et ubériser ce marché."