connaissez-vous cette pièce de Marivaux : L'Epreuve ? ces allées et venues sur le sentiment amoureux mélangeant doutes et certitudes, dénuement et intérêt créent un va-et-vient exaltant, qui nous tient en haleine.
la voir jouer par une troupe exceptionnelle est un pur délice que j'ai eu la possibilité de vivre.
"La pièce est à voir pour ses silences et ses regards. Le temps s’arrête, de longues secondes durant, sur le dialogue muet auquel se livrent Angélique (Audrey Bonnet) et Lucidor (Loïc Corbery de la Comédie-Française). Ils échangent tout et ne se disent rien et sur leur visage et sur leur corps se marque l’infini de l’attente. M’aime-t-il malgré mon peu de condition? M’aime-t-elle pour moi et non pour mon argent? L’intensité de leur interrogation est là pour rappeler que si tel n’est pas le cas, la mort n’est peut-être pas loin.
La position sociale et l’argent, incarnés par la mère d’Angélique (Nada Strancar), sont en réalité de peu d’importance, et l’inquiétude de chacun c’est l’autre.
Ils s’aiment, c’est une évidence pour tous, et peut-être même pour eux. Ils n’osent se le dire, et Lucidor, torturé par l’incertitude, met à l’épreuve Angélique dans un stratagème d’une inconsciente cruauté. Il est inquiet, elle souffre. Elle reste fidèle à elle-même, sûre de ses sentiments, simplement femme et aimante peu à peu profondément perturbée par la douleur de la mise à l’épreuve. Il l’aime et il lui fait vivre cela? Le seul sentiment qu’elle énoncera sera « Je vous hais ». Et même si l’issue est un mariage, la joie a déserté les coeurs et l’incertitude s’est déplacée – ils s’aimaient, s’aimeront-ils encore? Et qu’en feront-ils?
Heureusement Marivaux reconnait plus d’une facette à l’amour ! Pendant que le son grave des amours inquiètes se développe, il nous propose la musique cristalline et joyeuse de la vie qui profite d’elle-même. La servante, Lisette (Adeline Chagneau), apprécie le fier Frontin (Daniel San Pedro) et le beau Blaise (Stanley Weber), Blaise apprécie le bel argent que lui propose Lucidor dans son stratagème et chacun épousera l’être qui aura et l’argent et le sourire. Il n’est plus tout à fait question d’amour mais d’épousailles, de situation sociales et de désirs immédiats. Marivaux nous surprend, nous fait rire, nous égaie et nous donne envie de vivre ainsi, dans la légèreté de la joie de vivre et la capacité à s’abandonner à la jubilation de l’instant.
La mise en scène de Clément Hervieu-Léger donne une densité physique au ballet des émotions. Le décor est épuré mais lourd et inquiétant. Les scènes sont intensément rythmées: graves, lentes, denses, pour l’amour d’Angélique et Lucidor, joyeuses, légères, enlevées pour les amours de Lisette, Frontin et Blaise. Angélique est une intensité immobile, Lucidor une perpétuelle chute, Lisette pétille de vie et rayonne, Blaise est tonitruant et en mouvement, Frontin s’avère audacieux et fidèle et Mme Argante un bloc de dureté. En fond sonore le chant des oiseaux, une musique, le bruit du vent; et les silences et regards, les corps tendus, offrant une vision sculpturale des sentiments.
C’est du beau théâtre qui coule comme une partition parfaitement exécutée. Cette pièce nous emporte et nous accompagne encore bien après les applaudissements: tous ces personnages, comme autant de parties de nous mêmes, interrogent longtemps nos amours; qui sont graves, qui sont légères, qui sont l’amour !"